29 Orléanais réunis autour du projet artistique Kartographie(s)
Depuis novembre, nous sommes 29 privilégiés à avoir bénéficié d’une bulle d’oxygène, de création artistique, de vivant, sous la direction de Cécile Loyer, chorégraphe. La scène Nationale d’Orléans offre cette opportunité à des amateurs chaque année. J’ai eu la chance d’être tirée au sort parmi la quarantaine d’intéressés et de suivre ce parcours inédit, avec pour bouquet final, une représentation à huis clos qui a eu lieu dimanche après-midi. J’avais envie de vous partager de l’intérieur ces moments, ces curieux rêveurs – Les Kartographes – et notre belle aventure. Boussole et lampe frontale, en route.
Pourquoi avoir envie de cela ? Que recherchent ces orléanais(e)s d’horizons, d’âge et de corporalité différentes à travers cette aventure ?
Pour ma part, c’est la curiosité qui m’a animée. Curieuse de découvrir l’envers du décor, cet autre coté de la scène qu’habituellement j’imagine et fantasme. La possibilité d’assister à un processus de création, encadré par des professionnels, et avec eux. Car oui, 4 danseurs pro se sont mêlés à nous. Mai, Sonia, Steven et Romain étaient nos guides et nos renforts. Curiosité de voir comment nous, simples amateurs, pouvions prendre part à ce process. Comment serions nous entendus, quelle valeur prendraient nos voix, nos individualités, nos envies au profit et pour le collectif ? Enfin, curiosité individuelle aussi…voir ce que le corps dit, ce qu’il peut exprimer, quand il est challengé et attendu.
Une chorégraphe, un projet.
Ce projet est mené par Cécile Loyer, danseuse chorégraphe et directrice de la Pratique lieu de résidence d’artistes situé à Vatan, dans le Berry. Kartographie(s), c’est une série de pièces participatives qui sont à chaque fois recrées dans des lieux différents d’accueil et avec les habitant(e)s de ces villes. Elles ne sont jouées qu’une seule fois, à l’issue de rencontres se réalisant sur un temps court, en 3 ou 4 weekends. Durant nos weekends de travail, le « terrien » a été omniprésent. S’ancrer dans le sol, s’en servir comme appui, comme repère et allié. Pas de hasard, car dans cette pièce il est question de traversées, de parcours, de cheminement, de lien au territoire. Cécile Loyer a souhaité lever la question avec des citoyens, de l’accueil, de l’hospitalité, notamment des demandeurs d’asile aujourd’hui en France.
Donner de la visibilité à ces personnes en souffrance, aborder ce thème avec des citoyens, et ça sur un plateau de danse est comme une évidence pour elle. Un des buts même de son travail. Témoigner, essayer de faire bouger les choses. « On porte la responsabilité de cela en ne faisant rien, en regardant sans voir. Nos enfants s’habituent à voir des choses horribles, de la détresse…ça en devient presque une normalité. Donc, dire que ce n’est pas normal, à mon niveau et avec mes outils, c’était essentiel« . En plus du plaisir d’être ensemble, c’est aussi ce sujet qui a rassemblé le groupe.
Tout le monde peut participer à Kartographie(s), les citoyens mais aussi les demandeurs d’asile directement concernés. Chose peu simple en pratique, cependant sur les deux projets (Châteauroux et Orléans), deux étaient présents. Dans le Berry, le jeune n’a pas pu finir le cursus, une demande d’expulsion le forçant désormais à se cacher. Le groupe de Kartographes Castelroussins s’est alors dressé en porte parole de son histoire, renforçant le sens de ce travail de création.
Le choix de travailler avec des amateurs n’est pas un hasard.
Le 1er week-end, j’ai été séduite par notre lâché prise. Lâché prise qui allait ne faire que s’accentuer sur la suite d’ailleurs. Sous les consignes d’Eric, l’assistant de Cécile, nous avons été amenés à découvrir nos corps. A nous apprendre les uns les autres, à s’écouter, se mouvoir ensemble, sur une même surface, et essayer au fur et à mesure de n’être porté que par un seul souffle. Je me souviens de cette première fois où j’ai aperçu Jean Hugues danser les yeux fermés, se laissant aller, aux mouvements délicats et assumés. J’ai trouvé ce corps beau, enfreint de liberté et j’ai aimé alors si fort être de ce groupe qui ose, qui ressent, et qui va en redemander.
Le 1er weekend a été aussi celui de la rencontre. Nous avons eu à créer chacun une partition dansée d’1 minute, autour de 5 mots (Fondre, Accrocher, Monter, Retenir, Dévisager) puis de les faire vivre en duo. Ce couple a été désigné par Cécile après analyse de nos vraisemblances, et certainement par un feeling de ce qui pouvait fonctionner ensemble. Il a fallu se coordonner et composer avec le corps de l’autre, un autre physique, d’autres envies. C’est Françoise qui a été ma partenaire, retraitée, toute en délicatesse, j’ai été ravie d’être associée à elle car je l’avais trouvé très juste et touchante lors de son solo.
Le groupe s’est un peu mis à nu au fur et à mesure des consignes, des exercices sur les 2 premiers weekend et c’était surprenant d’accéder à de l’intime tout en ne se connaissant que depuis quelques jours, voire quelques heures. Intimité du corps d’abord, par cette élégante pudeur que pouvaient porter certains face à des instructions qui les menaient sur des voies inconnues. De l’intime aussi, par les mots. Des témoignages, un peu de soi-même qu’on nous a proposé de partager. Cécile nous a demandé de revenir le lendemain avec des propositions, comment aborder la notion d’accueil, de l’ hospitalité, de mains tendues ? Comment étions nous traversés par la situation actuelle qui se vit pas loin de nos frontières ? En réponse, des chants se sont élevés, des textes ont été lus, des cordes ont été grattées, et José m’a émue aux larmes en nous parlant de celles qui restent, les mères…à travers sa propre histoire.
Des Kartographes
Cette aventure a réuni 29 profils différents. Parmi eux, Mireille, 70 ans. Petite anecdote, elle m’a accueillie le premier jour lorsque je suis arrivée par un énorme sourire, me signifiant qu’elle m’avait prise pour sa fille, que je lui ressemblais derrière mon masque, avec ma frange à discipliner. Nous nous sommes présentées, et j’ai découvert qu’elle portait le nom de ma maman… Joli hasard. Le lien était créé ! Elle n’en était pas à son premier projet amateur, elle a participé à « Et tout ce qui est faisable sera fait » projet de la saison 19/20, proposé avec la compagnie Les Veilleurs et les musiciens du Tricollectif. Au départ Mireille avait des doutes, elle avait peur de ne pas être à la hauteur par rapport à son corps moins à l’aise pour tous les mouvements. Elle a été rassurée par Elise, qui a su trouver les mots « C’est l’intergénération qui fait la richesse de ce projet, et toi tu as quelque chose à dire et à montrer dans ce projet » lui a t-elle dit. Ce qui l’a convaincu à passer le cap c’est aussi le projet autour des cartes, la place de l’étranger sur le sol français, l’accueil. Synali, jeune mineur isolé présent dans notre groupe, avait aussi participé à « Veilleurs » et leur rencontre il y a 2 ans a été importante. Unis par une jolie relation, ils ont souhaité aller plus loin et participer ensemble à Kartographie(s).
Zoé, 42 ans, est habituée aussi des projets amateurs de la Scène Nationale, le principe de la création à plusieurs, sous direction d’une chorégraphe lui plaît beaucoup « On a vraiment l’impression que c’est un moment à part qui nous est offert, et d’autant plus pendant ce confinement. Il faut en profiter à fond. » Pour Zoé, c’est un plaisir de pouvoir clôturer ensemble ces ateliers par un spectacle à huis clos, mais la restitution n’est pas une fin en soi « Ce n’est pas la finalité le plus important pour moi, ce sont les ateliers menés ensemble. »
Will, lui, le sujet il ne le connaissait pas avant de s’inscrire, c’est l’idée de rencontrer, de partager qui l’a surtout attiré. Ayant des amis présents dans le projet, il a eu envie de rejoindre l’aventure et c’était une bonne occasion d’intervenir par la danse sur ce sujet. « Super expérience humaine, je n’en suis pas déçu. C’est ce qui fonctionne ! On a des super intervenants, c’est un projet d’une très grande qualité, on est bien accueilli, bien accompagné, ça rend le tout très agréable. » Pas de déception pour lui à l’annonce du spectacle à huis clos, il s’en doutait depuis longtemps « Assez rapidement je me suis mis en tête que ce serait une expérience vraiment pour nous et qu’on ne pourrait malheureusement pas vraiment la partager, si ce n’est que par nos récits. »
Au fur et à mesure des weekends, nous sommes rentrés un peu plus dans les pièces que nous allions présenter. Ça devenait concret, il fallait être attentif et sérieux dans l’investissement. Tous, nous avons reçu ces consignes, rectifications et corrections, avec respect et attention. Conscients de notre chance d’être sur un plateau de théâtre, conscient d’être privilégiés pendant que le spectacle vivant est forcé au sommeil. C’était comme irréel, notre premier weekend de travail s’est d’ailleurs déroulé pendant le confinement. Nos attestations en poche, ce fut une libération de sortir de chez soi, d’aller à la Scène nationale pour se mettre en interactions avec d’autres et de pouvoir rencontrer, parler, recevoir. Ces ateliers nous ont d’ailleurs unis fortement les uns aux autres, je pense, en raison de cela. Nous formions une team d’heureux, en permission.
Il a fallu apprendre à se laisser de la place, s’accompagner, et je crois que c’est ce qui m’a le plus touchée. Une extrême bienveillance entre nous tous, les plus jeunes envers les plus âgés, et vice versa. Il n’est pas toujours aisé de retenir des consignes, de se laisser surprendre et de croire en soi. Pour certains, ce n’était pas l’exercice le plus facile, et le groupe a toujours accueilli les demandes de précisions, ces doutes personnels perceptibles, presque avec une forme de tendresse.
Le masque et la distance comme conditions
L’aventure a été délicieuse, riche de rencontre, d’humanité et également de réflexion autour du sujet qui planait au dessus de nous, et dans chacun de nos gestes. Mais, nul doute qu’il nous a manqué des « après », des verres ensembles, des repas à piocher tous dans le même paquet de chips, à partager une bonne bouteille de vin. Pour aller plus loin, tous ensemble, et parfaire notre curiosité de l’autre.
Évoluer en groupe masqué, danser masqués a été au début peu simple. A la recherche de l’info dans le regard, de celle qui parlera autant qu’un sourire ou que des fossettes qui se dessinent. Ce sera cela ce petit goût d’inachevé qui reste à la fin : une rencontre qui s’est faite avec un don plus réduit, une retenue. Il y a tant à partager par le geste, le toucher ! Il y a aussi ce finish un peu diminué. Heureux nous avons été de pouvoir présenter ce travail aux quelques présents dans le public, mais il a nous été ôté un peu de plaisir en en réduisant son partage, la transmission du message.
Une magnifique expérience de vie, pour nous tous. Un groupe s’est formé, il continue de vivre virtuellement pour le moment (merci Whatsapp !) et nous nous reverrons aux beaux jours pour célébrer ensemble ces moments. Ce projet nous a nourris et donné de la force en ces temps difficiles, il a été une véritable respiration.
Merci également à Elise, d’avoir porté ce projet pour et avec nous !
Chorégraphie : Cécile Loyer – Compagnie Cécile Loyer
Assistanat à la chorégraphie : Éric Domeneghetty
Interprétation : Romain Bertet, Sonia Delbost-Henri, Steven Hervouet, Maï Ishiwata
Musique : Sylvain Chaveau
Régie générale, lumière : Coralie Pacreau
Avec la participation de 29 Kartographes : Annabelle Guehria, Aude Jacquet, Aude Pichon, Audrey Duris, Aurélie Vain, Camille Roquencourt, Célia Landré, Chris Bonsergent, Erwann Cochery, Françoise Vallet, Jean-Hugues Rouch, José Gomez, Loula Gernez, Marie Durie, Marie Saillard, Marie-Laurence Degouy, Marilou Guérin, Mireille Cauchi, Mounia Soubra, Myriam Attia, Nadine Ramond, Nicky Tella, Noémie Brosset, Noémie Le Brazidec, Pascale Magnant, Saïda Akallouh, Sinaly Koné, Wilfrid Ranni, Zoé Decolly
Aaron Benjamin Photography & Videography et
Une captation a été réalisée et sera dévoilée bientôt par la Scène Nationale, de quoi nous offrir de beaux souvenirs et pour vous, vous partager cette expérience 🙂