Interview avec Mathieu Turi, réalisateur de Méandre, une coproduction orléanaise
Après « Hostile », son premier long métrage, sorti en 2018, Mathieu Turi revient avec Méandre, une production Equitime, société orléanaise.
Méandre c’est l’histoire d’une jeune femme qui se réveille dans un tube rempli de pièges mortels. Pour ne pas mourir, elle devra constamment avancer…Un huis clos, prenant qui frise parfois la limite du supportable. Un vrai film de SF Horreur comme on les aime.
Pour l’occasion, Mathieu Turi nous a accordé une interview dans laquelle on revient sur son parcours, son film et ses inspirations
Comment se sent-on à la veille de la sortie de son film ? (Interview réalisé le 25 mai)
C’est un mélange de plusieurs choses. Je suis excité parce que forcément c’est la fin d’une aventure, du tournage et ce qu’il y avant la sortie d’un film, et le début d’une autre, la sortie. Mais en même temps je suis complètement terrorisé avec tout ce qui s’est passé et les reports de dates ce qui rend le truc assez particulier. La très bonne nouvelle, qui fait que c’est moins stressant depuis une semaine, c’est les formidables chiffres de la reprise que personne n’attendait. Tout le monde pensait que ça allait reprendre de façon très très lente et progressive et bien non les gens sont au rendez-vous. Ca ne veut pas dire qu’ils seront au rendez-vous et que c’est automatique pour moi mais le marché est là et on est très content d’avoir cette sortie.
Vous vous êtes fixé un objectif en nombre de spectateurs ou on n’y pense pas du tout ?
En fait dans un autre contexte peut-être que l’aurais fait mais là, effectivement, vu tout ce qui s’est passé, on ne préfère même pas penser aux chiffres. On fera surement des extrapolations sur les premières chiffres de mercredi mais on ne veut pas se porter malheur donc on ne sait pas trop et on croise les doigts. On espère le plus possible surtout qu’avec l’histoire de jauge etc. c’est difficile de faire des prévisions
Construire un film comme un jeu de plate-forme c’est un défi au cinéma ou pour le spectateur ?
Oui c’est un défi pour plusieurs raisons. Dès le script, il faut réussir à tenir son spectateur pendant 1h30 sur un constat de base qui a l’air simpliste. Il faut donc il y ait une histoire qui raconte quelque chose mais aussi des rebondissements, de l’action, de la tension, de l’horreur. Ça c’est le travail en amont et après au tournage, ça a été très très compliqué car je voulais beaucoup de mouvements de caméras, beaucoup de tension visuelle, beaucoup de soins apportés au décor. Je ne voulais pas tomber dans le film simple même si aucun film n’est simple mais celui-là c’était particulièrement compliqué.
Et du coup comment vous positionner par rapport aux autres films sur l’enfermement qui sont sortis dans les 20 dernières années par exemple Cube ?
Dès l’écriture j’ai voulu faire un film de SF de huis clos comme il y en a déjà eu plein et je me suis dit que ce que je voulais faire était un peu différent, non pas que ce soit mieux mais pour me différencier, pour ne pas que ça soit quelque chose qu’on ait déjà vu, c’était d’avoir du mouvement tout le temps parce que d’habitude dans un huis clos c’est « on est coincé, on ne peut pas sortir » ou « on peine à avancer et tout est fait sur le rythme de comment one serait-ce que faire un pas »
Moi l’idée c’était de faire l’opposé et de faire un personnage qui doit avancer tout le temps , qui est dans une position où il n’a pas trop le choix. Mon héroïne, elle ne peut pas se retourner, elle ne peut pas se relever mais par contre elle peut ramper et c’est ce qu’elle fait du début à la fin. J’ai essayé d’évoluer dans un univers mais en racontant quelque chose d’autre en fait.
Le travail de l’acteur prend du coup une dimension physique et une dimension de jeu particulier. Comment on dirige son actrice dans un tel film ?
Ce qui est déjà compliqué c’est que l’actrice est de tous les plans et comme elle l’a dit elle-même c’est quelque chose de très particulier car d’habitude on peut faire un champ et pendant le contrechamp, on réfléchit, on développe sa manière de jouer. Là, elle est de tous les plans et donc c’était très compliqué.
Après dans la relation de travail c’est vrai que j’étais souvent avec elle, à côté du tube, soit en lui parlant à travers quand il n’était pas ouvert, soit directement. Et il fallait malgré tout rester dans l’intime parce qu’elle est censé être toute seule et jouer l’isolement quand on a soixante-dix personnes autour de soi, c’est une performance pour maintenir une relation très intime.
Du coup défi pour l’acteur mais aussi défi pour le réalisateur avec une volonté de mouvement en terme de plans ou de découpage. Qu’est-ce qui a été le plus compliqué à relever ?
Dès le début ce que je voulais éviter de faire c’était un plan fixe devant, un plan fixe derrière et un plan fixe latéral. Je voulais essayer de donner du rythme au montage et donc très vite on est parti dans l’idée que ce film serait un laboratoire de techniques. En fait, on a construit énormément de machinerie au-delà des décors qui était amovible. On a même construit des cages sur roulettes qui nous permettaient d’aller à grande vitesse ou de tourner face à l’héroïne. On a aussi construit des décors pour un plan parce qu’il fallait faire un trou dans un endroit précis qui devait être escamotable. Voilà ce genre de défi. Il fallait tenir jusqu’au bout cette mise en scène mouvante de plans signifiants, de plans rotatifs. Ce qui est déjà compliqué à faire dans un champ en extérieur devient extrêmement complexe quand on est enfermé dans un espace aussi réduit.
Si on en revient à vous et qu’on sort un peu du film quelles sont vos références cinématographiques ?
Moi, elles sont arrivées très très jeune puisque le premier film que j’ai vu c’est The Thing de Carpenter dont je me souviens très bien. J’avais six ans et je me cachais derrière le canapé. Après j’ai découvert, bien trop jeune aussi, parce que j’étais attiré par ce que je venais de voir, un espèce de cauchemar éveillé, Alien, Robocop, Predator, tout ce cinéma des années 70, 80, qui utilisait à la fois la SF et l’horreur. C’est un truc qu’on voit de moins en moins ces deux genres mélangés de façon sérieuse et qui racontent quelque chose. Et donc c’est toute cette école là, les Carpenter, Cameron, Spielberg, ce cinéma-là m’a énormément marqué et aujourd’hui continue à m’apprendre beaucoup de choses.
Votre premier film « Hostile » a été en partie produit avec des américains et on n’y voyait des acteurs américains. Comment ça s’est passé ? C’est assez étonnant tout de même pour un premier film ?
Alors « Hostile » déjà c’est une vraie production indépendante totalement. C’est un film qui a été fait avec de l’argent privée et qui a coûté 1 million d’euros et en fait, on a fait effectivement des coproductions mais avec des producteurs exécutifs qui nous ont aidé à tourner dans les pays en question. Il y a donc une partie américaine avec une Coprod américaine, une partie marocaine avec une coproduction marocaine et une partie qu’on a tourné en France. C’est vrai que ça a été un peu un prototype à mettre en place et même à tourner parce que du coup, on avait l’impression de faire trois gros court-métrage puisqu’en fait, ils étaient même séparés dans le temps. On a d’abord tourné à New York et Paris et ensuite on a passé trois semaines au Maroc, à préparer sur place pour ensuite tourner la partie marocaine. Donc oui c’était très compliqué à mettre en place financièrement. C’est vraiment un film fait sans aucune aide et avec de l’argent privé. Méandre, lui, est totalement fait dans le système avec des Sofica (Les sociétés pour le financement de l’industrie cinématographique et audiovisuelle), le crédit d’impôt…On a tout tourné en France alors qu’on aurait pu tourner dans les pays de l’Est mais on a tenu à faire un film français en France.
Comment on passe de « the Thing » de Carpenter premier film que vous voyez, à son deuxième film en tant que rémlaisateur ? Quel est votre parcours ? Vous avez intégré des équipes de tournage de films américains plutôt à gros budget, comment on en arrive là ?
C’est beaucoup de travail beaucoup de chance aussi parce que j’ai eu des opportunités que j’ai su prendre sans savoir où elles allaient me mener. Moi je suis né à Cannes et je suis monté à Paris à 18 ans pour faire une école de ciné et en fait en sortant de cette école, en fait même avant d’en sortir, j’ai eu l’opportunité de travailler sur un plateau mais vraiment à un poste où on est à peine de l’autre côté de la barrière , Je bloquais les gens dans la rue, et il se trouve que très vite puisqu’il faut savoir que ce premier film c’était GI Joe , j’ai été amené à bosser sur Inglorious Bastards de Tarentino, sur Sherlock Holmes 2, sur des films de Clint Eastwood, de Woody Allen. J’ai fait ça pendant 8-9 ans. Je suis passé troisième assistant et après je m’occupais exclusivement des trop grosses figurations et donc forcément c’est sur de très gros film. En parallèle, j’ai toujours voulu devenir réalisateur, c’est ce que je voulais faire avant même de commencer l’école. Donc j’ai fait des courts-métrages pendant cette période là et notamment un court-métrage de science-fiction qui a été en compétition dans le plus gros festival du genre du monde. Alors qu’on a fait son petit court-métrage à 3000 balles avec des potes, ça ouvre des portes forcément.De fil en aiguilles j’ai réalisé mon premier film. Et c’est ma rencontre avec Xavier Gens qui m’a beaucoup aidé aussi. Mais quand je suis arrivé à Paris je ne connaissais absolument personne dans le cinéma, même de loin, comme quoi c’est possible. Il faut vraiment bosser, se créer son réseau, avoir un peu de chance aussi et savoir saisir les opportunités quand elles arrivent.
Dernière question: Maéandrec’est un héros qui est coincé dans des tuyaux. L’idée du film elle vous vient comment, c’est que vous n’avez jamais réussir à finir Mario sur Nintendo ?
(Rire) C’est pas mal, elle est bien celle-là. On pourrait même dire que ça ressemble un peu à Pacman et qu’il y a une inspiration très Old school, très jeu vidéo Old school. Non plus sérieusement l’inspiration elle vient de deux choses. La première totalement inconsciente : quand j’étais gamin, on avait, dans notre maison, un espèce de soubassement de 50 cm de haut. Souvent c’est moi qui y allait parce que j’étais le plus petit pour aller chercher des trucs qu’on rangeait là. Ca me dérangeait pas en plus mais du coup cette sensation d’être vraiment à ras du sol, dans une position à pas pouvoir se relever, je l’ai gardée. Je me rappelle moi qui ne suis pas claustrophobe que j’étais quand même super angoissé, que ce n’était pas naturel et je sais que cette sensation m’a beaucoup aidé pour mon script. Après l’idée de base, elle est venue quand je cherchais à faire un film de huis clos de SF mais un peu différent. J’ai repensé à la scène dans Alien de James Cameron où Bishop l’Android rentre dans un espèce de tuyau d’évacuation pour remonter à la source et arriver à un ordinateur central pour ramener le vaisseau. Il dit cette phrase qui est absolument génial : « je suis peut-être synthétique mais je ne suis pas stupide » quand on lui dit qu’il faut bien que quelqu’un y aille. Il y va et en fait, toute cette scène est filmée de façon claustrophobique. On a vraiment peur pour lui. On se dit qu’il y’a un Alien qui va arriver et il se passe absolument rien. J’avais trouvé ça absolument brillant parce qu’il avait réussi à me terroriser. Et en fait je me suis dit que si je pouvais trouver une histoire qui pouvait tenir sur 1h30 ça serait un très bon concept, parce qu’il y a la à la fois la claustrophobie et le mouvement perpétuel.
Merci et merde pour demain