CultureLecture

La Deuxième femme ou l’emprise des violences

Dans un roman captivant, Louise Mey raconte l’engrenage de l’emprise et y décortique tous les rouages d’une relation destructrice.

Sandrine ne s’aime pas. Elle trouve son corps trop gros, son visage trop fade. Mais plus rien de cela ne compte le jour où elle rencontre son homme. Récemment endeuillé par la disparition de sa femme, il lui fait une place, dans sa vie, dans sa maison, auprès de son fils.
Discrète, aimante, reconnaissante, Sandrine se glisse dans cette absence, fait de son mieux pour que le bonheur renaisse au sein de cette famille. La sienne désormais.
Jusqu’au jour où la première femme réapparaît.

C’est tellement étrange de se regarder dans la glace et ne pas vouloir hurler, de ne pas vouloir tout effacer, charcuter, dissoudre. De ne pas marmonner grosse vache, grosse, grosse moche, tête de conne. […] Toucher un vêtement hostile devrait la mettre à terre. Si elle a composé cet uniforme quotidien avec soin durant toutes ces années c’est que s’habiller était une torture, la seule chose pire que d’être nue.
Elle s’est raclé les hanches à coups d’ongles jusqu’au sang un jour où sa mère l’avait convaincue d’essayer une jupe trop petite, elle savait que la jupe serait trop petite, que sa mère voulait juste la voir courbée, rouge sous l’humiliation, les cuisses boudinées, barrière infranchissable.
Les vêtements sont des ennemis qu’il faut tenir à distance, avec précaution.

Publié en 2020, ce roman de Louise Mey brille par son point de vue, loin de tout misérabilisme ou tout raccourci vindicatif. L’écriture est précise, le récit prend le temps de comprendre à quel point l’esprit de Sandrine est meurtri et lui fait porter un regard biaisé sur la réalité. Sandrine qu’on ne quitte jamais ne se voit pas comme elle est. La réalité se refuse à elle. Alors quand sa vie change, que l’amour arrive et qu’une certaine joie naît, Sandrine n’y croit pas vraiment. Son manque de confiance se transforme en manque de légitimité au bonheur. Louise Mey explore toutes les failles de cette femme et montre les rouages de l’emprise qui a fragilisé et détruit le libre arbitre de Sandrine. Son homme, celui qu’elle appelle « l’homme qui pleure », se réveille et la réalité apparaît, à nous et à cette deuxième femme. Cette révélation chamboule, désoriente, interpelle.

Louise Mey, sans jamais être moralisatrice, nous fait ressentir les vertiges ressentis par cette femme et en ménageant les effets, elle compose un roman passionnant sur une situation effroyable. Progressivement, on commence à voir la vérité de la situation et les formes de violence subies par Sandrine. Louise Mey révèle pour mieux dénoncer, écrit pour éveiller nos consciences. Elle ne fait pas de généralités et capte les divers domaines où les diktats de la société nourrissent la violence (envers soi-même), où le quotidien recèle des actes et des mots pleins de perversité.


La Deuxième femme, Louise Mey, Pocket, 8,30€

Afficher plus

Julien Leclerc

Insatiable curieux avec un blog littéraire Le Tourneur de pages (c'est le premier lien ci-dessous)

Articles similaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Bouton retour en haut de la page