Pulp, de Charles Bukowski : saluer un Monde aussi fou que soi
Dernier livre écrit par le légendaire écrivain, Pulp est sorti en 94, quelques jours avant sa mort. Derrière le masque, un pastiche des grands films noirs et du faucon maltais, un salut bien bas à tout ce qu’on devrait rendre dingue avant de l’être.
Quand on cherche « Bukowski » sur la grande toile, on tombe par la grace des moteurs de recherche sur cette émission de Bernard Pivot devenue légendaire, apostrophes de 1978. Ce soir-là, l’auteur culte débarque dans la télé française comme un éléphant dans un jeu de quilles… Non. Comme un Mammouth énervé dans un salon de thé. Dans les commentaires, peu de littérature : on se questionne souvent sur la capacité d’un homme perçu comme un poivrot sans convenances à tenir la bouteille. Perdu, saoul, le bonhomme a dessiné ici un portrait marquant pour ses futurs lecteurs. C’est ainsi : celui qui s’est découvert écrivain à 10 ans en inventant une sortie qu’il n’avait jamais faite à l’investiture d’un président que son père violent détestait, avait déjà vécu comme un Jack London 10 vies que nous ne verrons jamais.
Vétéran de la grande guerre, postier pendant 12 ans dans des conditions lamentables, vagabond dans des bouges qu’on n’oserait plus appeler clapier, le bonhomme s’est tanné le cuir avant de publier à droite à gauche quelques articles dans les revues les plus avant-gardistes de Los Angeles. C’est ce que raconte Pulp, la ville, le pays et les légendes qu’Hollywood tissera sans jamais se lasser. Dans les rues et à côté des belles toiles traîne Nicky Belane, détective, le dernier avatar rondouillard du romancier qui trimballe ses envies d’excès d’affaires sordides en impayés. Souvent les siens.
Chargé par un type de retrouver sa maîtresse pour l’en débarrasser, le privé traque aussi un sosie de Louis-Ferdinand Céline, mort depuis plus de 10 ans. A Los Angeles. Ce qui apparaît somme toute comme une journée relativement normale prend ici les traits du film noir, le faucon maltais en tête de gondole, pour mieux singer la folie des journées ordinaires qu’on ose appeler une vie. Bukowski salue toute ses troupes, remonte son col et soupire une dernière fois : le roman est publié quelques jours seulement avant sa mort. Alors le printemps aidant, voilà un beau moment pour lire de la folie ordinaire comme on veut encore en écrire dans les prochaines semaines. La matière ne manque pas, non?
« Or j’avais beau interroger mes quatre murs, ils se taisaient désespérément. De quoi virer barge. Je me voyais au lit avec la Grande Faucheuse, Cindy et Jeannie Nitro. Pas séparément, toutes ensemble. Pour le coup, c’était trop ! J’attrapai mon feutre et je mis les voiles »
Pulp, Ed 10/18, 6,60 euros