« Dès que je le vis, je sus que Léopold Wiesbek m’appartiendrait. J’avais onze ans, il en avait vingt-cinq… »
Prise ainsi par une passion que rien n’éteindra, Emilienne devra attendre son heure. Talentueux, beau, aimé des femmes, Léopold fait un mariage d’argent pour pouvoir se consacrer à la peinture. La jeune fille va lentement tisser sa toile, ne reculant devant rien, sacrifiant au passage quelques existences.
Des années plus tard, après la mort de son amant, Emilienne, désespérée mais sans remords, demeurera certaine que c’était le prix à payer pour vivre sa passion.
Sous les auspices du mythe de Tristan et Yseult, la désormais vieillissante Emilienne égrène ses souvenirs. Souvenirs d’une vie placée sous le signe exclusif de l’amour avec un grand « A », à la conquête duquel elle aura tout sacrifié, ou presque.
Emilienne, âgée de onze ans, est à la remorque de sa mère qui court les réceptions mondaines de la bourgeoisie bruxelloise. C’est à cette occasion que la petite fille croisera Léopold, jeune peintre encore méconnu. Elle en tombe éperdument amoureuse, et décide sur-le-champ que cet amour sera un jour payé en retour
Au-delà de l’aspect moral, du caractère exclusif, égoïste et destructeur (pour les tiers) de la relation des amants, peut-on réellement tomber amoureux à 11 ans, au point d’en être obsédé à vie ? Et surtout, peut-on forcer quelqu’un à tomber amoureux de soi ? Jusqu’où peut-on aller dans la transformation, l’adaptation, la maîtrise de soi pour devenir celui/celle dont l’autre va, à coup sûr, tomber amoureux ? Jusqu’où aller dans le reniement de soi, de sa propre individualité, pour se métamorphoser en la personne que l’autre va choisir ?
Ce pari insensé n’a pas arrêté Emilienne, qui misait pourtant gros en vouant sa vie à un homme dont elle ne pouvait être certaine qu’il l’aimerait. Elle a joué, gagné contre le Destin, qui prendra sa revanche et lui fera payer sa passion.
« Il est vrai que je choisissais bien mes peintres, mais elle avait le pouvoir d’amener chez moi les gens qu’il faut avoir. Je n’ai jamais compris ce qui jette les uns dans la gloire et les autres dans l’ombre. Je sais que je nomme cela le pouvoir mondain et que pendant vingt ans je m’en suis servie.«
« C’est un lourd fardeau d’être raisonnable et j’aurais volontiers secoué les épaules pour m’en débarrasser.«
Jacqueline Harpman décrit merveilleusement bien cette société mondaine du milieu du XXe siècle : on s’imprègne vraiment de l’ambiance des salons, on voit les femmes, leurs rivalités pour plaire aux hommes sous les yeux mêmes de leur mari, les jeux de pouvoir.
Elle use d’images plus belles les unes que les autres pour dépeindre les émotions de ses personnages. Chaque scène, chaque paysage est détaillé avec précision. De tout cela, une certaine magie se dégage, identique à celle qui émane des plus belles peintures.
Paru chez Le livre de Poche, 317 pages, 6,30 euros