La séance surprise de décembre aux Carmes : Vingt Dieux de Louise Courvoisier
Encore une fois, nous nous sommes lancé le défi d’aller à la séance surprise du cinéma des Carmes. Une fois par mois, la surprise du chef, de celles qui font plaisir et réchauffent les cœurs. Une nouvelle belle découverte qui prend la direction du Jura de Louise Courvoisier, avec Vingt Dieux, lauréat du prix de la jeunesse à Cannes.
« Totonne », c’est l’apparent « bon qu’à boire des coups » comme l’évoque son père, à peine majeur et vivant d’amour(ette) et d’eau fraîche (avec du pastis). À 18 ans et bien loin d’avoir quitté sa province, notre personnage principal profite des fêtes de villages et de sa jeunesse avec ses amis Jean-Yves et Francis. On drague, on boit, on se bat et on fait des choix idiots, comme son père rentrant en voiture après une soirée trop arrosée. Chassée la légèreté de la vie, Totone va devoir supporter le poids des responsabilités et s’occuper de Claire, sa petite soeur. Une idée lui vient rapidement : faire du Comté et gagner le concours lui permettant d’obtenir 30 000 euros !
Un premier film plein de maîtrise
Si une chose nous frappe au regard de Vingt Dieux, c’est l’apparente maîtrise formelle de Louise Courvoisier. Le plan séquence d’ouverture antispectaculaire pour nous faire découvrir Totone au comptoir plante assez bien le décor. Le film regorge de plans sublimes mettant en lumière la beauté de la nature du Jura traversée par le soleil, la brume et par nos personnages en tracteur, en camion ou en mobylette. L’autre point qui nous désarçonne, c’est le degré de réalisme de ces personnages. Ceux-ci ne répondent à aucun stéréotype, à aucun archétype. Louise Courvoisier pose un regard plein de pudeur sur un personnage foutraque, brisé avant même d’être construit. Il n’y a jamais de pathos larmoyant dans les grands moments de ce film rural, riche d’amour et d’amitié. Du décès tragique du père de Totone, filmé avec la distance suffisante pour que le spectateur prenne la mesure de la détresse de notre héros, aux preuves d’amitié touchantes, nos personnages semblent plus vrais que nature.
Louise Courvoisier ne voulait pas faire des personnages caricaturaux et cela se ressent. Totone est tantôt exaspérant, ridicule, courageux, attachant. La beauté de son évolution tient dans la puissance des relations que son personnage tisse. Comment ne pas fondre devant Claire, sa petite sœur qui lui sert de motivation et qui s’avère être une aide magnifique doublée d’un juge impartial ? Comment ne pas trouver grandiose l’écriture du personnage de Jean-Yves, indéfectible ami qui ira jusqu’à vendre sa voiture de course pour l’aider ? On gardera en mémoire leur échange presque banal lorsque Jean-Yves propose à Totone de lui parler s’il en ressent le besoin, lequel répondra d’un déchirant « Pas de souci ». Un échange authentique, touchant de réalisme ; rien n’est criard chez Courvoisier, rien n’est plus grand que la vie simple qu’elle filme, preuve infinie de la conviction et de l’enracinement de la réalisatrice à ses terres d’origine.
Un point pourrait être évoqué sur l’utilisation de la parole dans Vingt Dieux. Si les phrases sont concises, on remarque après coup l’importance de l’écriture des dialogues. Totone est sans détour, direct, tout comme Marie-Lise, brute de décoffrage et avec qui une romance semble naître. Leurs échanges sont minimes, ancrés dans le pragmatisme de la réalité et c’est pour cela qu’ils sont percutants. Les prises de parole de Marie-Lise renvoient à un état des lieux de la profession d’agriculteur, en filigrane et en percussion. C’est ce qui participera à faire grandir notre personnage principal. Claire, la petite sœur, dit ce qu’elle pense sans filtre. Cette jeunesse de la campagne est remplie de sentiments et elle le dit avec ses mots, parfois crus.
Un ado qui doit grandir
Éleveur de volailles dans la vie, l’acteur Clément Faveau est un choix fabuleux. Avec son accent franchouillard et son physique gringalet, il incarne Totone à merveille sans qu’on le remette en question. Avec sa carrure frêle et adolescente, un jeu de miroir est incessant dans le film ; qu’il s’agisse de le comparer à Jean-Yves, solide gaillard blondinet bien bâti, ou bien à Marie-Lise, fermière travailleuse avec qui il tisse un début de relation. Plus grande que lui, celle-ci n’hésite pas à la bousculer en étant force de proposition et en inversant les positions : c’est elle qui lui propose de coucher ensemble, c’est elle qui conduit le quad en balade, c’est elle qui impulse la force de travail, c’est autour d’elle qu’il enroule ses jambes sur le quad. Enfin, il est le grand frère, mais que dire du visage quasi adulte de sa petite sœur ?
Durant 1h30, nous suivons avec plaisir l’évolution et les tentatives désespérées de Totone, candide pour ne pas dire naïf (la scène avec l’hôte du meilleur comté) mais de bonne volonté pour s’en sortir. On pense un peu à La part des anges de Ken Loach avec ce héros qui n’a pas tiré les bonnes cartes dans la vie et avec ces personnages remplis de débrouillardise, de douceur et d’entraide, faisant de Vingt Dieux un superbe film sur l’amitié.
Julien et Alexandre