Dans son premier roman, Polina Panassenko, avec sincérité et humour, dépeint le grand écart d’une petite fille, venue de Russie en France, traversée par deux cultures.
Elle est née Polina. En France elle devient Pauline. Quelques lettres et tout change. À son arrivée, enfant, à Saint-Étienne, au lendemain de la chute de l’URSS, elle se dédouble : Polina à la maison, Pauline à l’école. Vingt ans plus tard, elle vit à Montreuil. Elle a rendez-vous au tribunal de Bobigny pour tenter de récupérer son prénom.
A Saint-Étienne, il y a un immeuble qui s’appelle la Muraille de Chine. Un immeuble immense. Le plus grand d’Europe. Il a été construit pour être « le symbole d’un avenir meilleur en train de se réaliser ». On dit que la Muraille de Chine est dans un quartier mal famé. Mal famé ça veut dire famé en mal. Il y a longtemps, un président est venu lui rendre visite incognito. Tu m’étonnes. Moi aussi j’adore passer devant. Quand je prends le 18 avec ma mère, il s’arrête juste en face. S’il est en avance c’est là qu’il attend quelques minutes pour se remettre à l’heure. Ça laisse le temps de bien regarder. La Muraille de Chine c’est un immeuble sublime. On dirait un immeuble russe. Un immeuble immigré.
Polina ou Pauline ? Polina et/ou Pauline ?
A partir de l’histoire de son prénom, la romancière raconte son enfance et ses proches, leur installation à Saint-Étienne, la découverte de la France. Elle axe son livre sur la langue, cette part intime. Ce moyen de se révéler, de s’exprimer et d’aller vers les autres. Dans ce roman, la langue est un organe, un moyen de communiquer, de porter son héritage, son patriotisme. Ce livre nous raconte un corps qui grandit, une enfant qui prend conscience des mots et de leur usage.
L’humour pointe quand les mots français sont mixés avec les sonorités russes. Le dialogue au sein d’une famille, entre un professeur et des élèves, le mensonge, le secret, les subtilités, les douleurs se nichent dans les mots. Le roman commence comme un témoignage, riche d’anecdotes amusants. Il se poursuit comme un livre sur l’héritage.
Quand Polina Panassenko fait coexister les deux langues, ses deux facettes, alors elle décrit le numéro d’équilibriste d’une enfant, d’une adolescente, d’une adulte qui avance avec deux cultures. Le roman s’appuie des va-et-vient de la vie, des drames. La langue s’enrichit des non-dits. On ferme le livre avec, en tête, la voix de la narratrice et son accent russe.
Polina Panassenko, Tenir sa langue, Éditions de l’Olivier, 18€.