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Rambo, de David Morell : c’était sa guerre

En 1982 sort Rambo, de Ted Kotcheff. Voilà un film où un vétéran du Vietnam coiffé comme Louis 14 se promène dans une petite ville perdue au coeur des Etats-Unis, où on ne veut pas de lui. Oui mais voilà, dans son adaptation, une large partie du roman d’origine a été expurgée.

Le roman de David Morell est édité en 1972. Quand cet ancien prof se décide à l’écrire, la guerre du Vietnam n’est pas encore achevée et il est en première ligne pour percevoir, via ses élèves, la difficile réinsertion des vétérans d’une guerre dont on ne dit pas le nom. Pour asseoir le choc nécessaire à cette prise de conscience, le roman est brut, explosif et construit un personnage très loin de ce que les choix très intelligents de Sylvester Stallone, touché par le personnage, ont dessiné comme créature cinématographique. A l’écran, Rambo est une victime et n’en fait qu’une, par accident.

Traumatisé par la guerre et les tortures, le Rambo du roman est un authentique psychopathe déshumanisé, une bombe à retardement dont le déclenchement est provoqué par la même confrontation que celle du film, avec le shériff Will Teasle. Sauf qu’à l’écran, l’homme de loi incarné par le regretté Brian Dennehy, imposant et autoritariste, prend la place d’un homme torturé et sculpté, page après page, comme le réel personnage principal de l’ouvrage. Décoré de la guerre de Corée, l’homme vit un divorce douloureux et perd ses hommes très douloureusement les uns après les autres.

Nihiliste et désabusé, l’ouvrage originel de David Morell l’était probablement trop pour un scénario. Si l’imaginaire collectif garde en souvenir un soldat qu’on aurait du laisser seul et dépressif, le roman frappait de toutes ses forces les valeurs de la société américaine. Justice, république, impérialisme, tout y est passé et l’humain s’y est trouvé totalement dépassé, sans aucun espoir de rédemption.

Lire ou relire Rambo aujourd’hui, c’est reconstruire un imaginaire, redécouvrir ce qu’on connaissait déjà, un véritable exercice intellectuel très motivant. Peu d’histoires et de personnages ont eu un tel écho, probablement démesuré, mais la particularité de ces choix est de nous fournir deux mondes parallèles dans lesquels un vétéran prend deux directions diamétralement opposées sommes toutes aussi lourdes de sens dans leurs issues. C’était sa guerre, mais ça ne l’était pas aussi. De là à dire que Rambo est un chat de Schrodinger, il y a un pas que je ne franchirai pas…

Rambo, de David Morell, éd Gallmeister, 10 euros

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