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Regardez-nous danser, une fresque familiale dans un Maroc en construction

Leïla Slimani poursuit sa saga et, dans ce deuxième tome, met en avant les enfants de Mathilde et d’Amine, la génération qui voit l’Homme marcher sur la Lune, le monde rentrer dans les années 70 et conçoit une certaine idée de l’indépendance.

Mathilde et Amine poursuivent leur vie au Maroc, intégrant la classe sociale supérieure et accumulant des signes extérieurs de richesse. Autour d’eux, leurs proches et leurs enfants tentent de mener leur vie. Rapidement, ils se confrontent aux regards de l’autre, tiraillés entre un royaume marocain de plus en plus autoritaire et un monde occidental qui atteint les étoiles.

Aïcha fixa le paysage et se sentit envahie d’un tel bonheur qu’elle en fut surprise. Elle pensa qu’elle était rentrée chez elle et qu’il y avait quelque chose de doux, de rassurant dans le fait d’être entourée par ses semblables. Elle s’abîma dans la contemplation des champs de vigne et des allées d’oliviers qui poussaient au milieu de la rocaille, sur une terre jaune et sèche. Au pied d’une colline, elle aperçut un cimetière dont les pierres tombales étaient peintes à la chaux, et entre lesquelles poussaient des cactus vert pâle, couverts de figues de Barbarie que la chaleur avait fait éclater et qui révélaient leur cœur jaune et brillant. L’herbe, d’une teinte presque grise, brillait sous le soleil comme la fourrure d’un animal. Derrière se dessinait le profil de modestes maisons devant lesquelles couraient quelques poules et un chien efflanqué. Aïcha savait exactement quelle odeur régnait à l’intérieur de ces maisons qu’elle avait fréquentées enfant. Une odeur de terre moisie et de four à pain. Et c’est à l’odeur aussi qu’elle pensa en voyant devant eux une voiture où s’entassait une famille de huit personnes, assises les unes sur les genoux des autres. Un petit garçon, debout sur les cuisses de sa mère, salua Aïcha à travers le pare-brise arrière. Elle lui rendit son salut. Mais ce sentiment de plénitude ne dura pas.

Leïla Slimani réussit à nous embarquer dans la suite de sa saga. Après un premier tome centré sur un couple marqué par le conflit mondial et atteint par la décolonisation, l’autrice nous raconte la fin des années 60 et ouvre son récit sur la deuxième génération. Comme tous les auteurs à l’origine de sagas, Leïla Slimani guide notre regard vers des paysages réconfortants, porteurs de nombreux mystères, de profonds changements. On voyage à travers le Maroc tout en étant frappé par les événements de la décolonisation. Avec elle, nous traversons le temps et c’est avec esprit et habileté qu’elle mêle l’intime et l’historique (notamment le fameux « petit pas pour l’Homme » assez délicieusement lié à une autre première fois).

Je dois avouer que le personnage d’Aïcha, fille de Mathilde et d’Amine, a capté mon attention dans ce deuxième tome. Avec son innocence, celle de pouvoir avoir un pied en France et un autre au Maroc, Aïcha est une femme en apprentissage de son monde. Elle est aussi audacieuse que timide, animée par de l’assurance et la conscience de ses fragilités. Derrière elle, on perçoit l’ombre d’un royaume du Maroc marqué par des attentats avec à sa tête un monarque voulant être un guide suprême. Leïla Slimani laisse une place au peuple marocain qui moque gentiment l’autoritarisme d’Hassan II. Les sourires perdurent malgré les drames, les déceptions et la violence patriarcale.

Comme dans le premier tome, l’autrice déploie ses convictions féministes, montrant que la danse, présente dans le titre et dans certaines scènes clés du roman, n’est pas toujours menée par les hommes. Les personnages féminins, même secondaires, prennent une ampleur là où les êtres masculins sont souvent lâches, malades et à la démarche bancale.


Regardez-nous danser – Le Pays des autres 2, Gallimard, 21€

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Julien Leclerc

Insatiable curieux avec un blog littéraire Le Tourneur de pages (c'est le premier lien ci-dessous)

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