cultureLectureCulture

La plus précieuse des marchandises, un conte pour l’Histoire

En novembre prochain, Michel Hazanavicius, réalisateur de The Artist et des deux premiers opus de OSS 117, proposera une adaptation magnifique du conte de Jean-Claude Grumberg. En attendant, retour sur ce livre.

Il était une fois, dans un grand bois, une pauvre bûcheronne et un pauvre bûcheron. Un jour, la pauvre bûcheronne voit le dieu des trains lui envoyer une marchandise, la plus précieuse d’entre elles. Au milieu d’une guerre mondiale, alors que les trains défilent, la pauvre bûcheronne protège l’enfant.

Dans le vaste bois où pauvre bûcheron et pauvre bûcheronne tentent de subsister, il existe un tel lieu, là où les arbres poussent plus dru et plus serré. Un endroit que la hache des bûcherons respecte et où on ne trouve aucun sentier tracé. Une forêt touffue dans laquelle on ne se glisse qu’en silence. Les enfants, bien sûr, n’ont pas le droit d’y aller. Et même leurs parents craignent d’y mettre le pied et de s’y égarer.
Pauvre bûcheronne connaît son bois comme sa poche – les châles dans lesquels elle s’enveloppe hiver comme été n’ont pas de poche, en auraient-ils qu’elle n’aurait, elle, rien à y mettre -, malgré tout, disons qu’elle connaît ce lieu réservé, pense-t-elle, aux fées et aux lutins ainsi qu’aux sorcières et à leurs loups-garous. Elle sait également qu’un être humain y vit seul, un être qui fait peur et horreur à tous et toutes, et que même les vert-de-gris et leurs misérables miliciens craignent de croiser. Un être que certains disent maléfique, tandis que d’autres le nomment l’ami des bêtes et l’ennemi des hommes. Elle-même l’a entraperçu certains jours alors qu’elle fagotait à la lisière de cette forêt où il semble régner en maître absolu et solitaire.
Elle sait également hélas, elle l’a compris au petit matin, que sa petite marchandise ne pourra survivre et prospérer sans lait.

Voici un texte court à l’intensité dramatique éblouissante. Dans ce petit livre, sont contenus deux extrêmes : l’horreur absolue – la déportation, le génocide, la déshumanisation – et la lumière éclatante – l’amour, le courage, l’altruisme. L’auteur alterne le destin de l’enfant et celui de ses parents envoyés à Auschwitz. Les deux faces de l’Histoire vivent côte à côte.

Jean-Claude Grumberg n’use pas des mots liés à son récit et son contexte mais n’en esquive aucun aspect. Le tour de force est d’une puissante subtilité et vient chercher au plus profond de l’humanité du lecteur. Dans ce conte, les « sans cœur » sont pourchassés car la rumeur veut qu’ils soient à l’origine de la guerre et du malheur. La petite marchandise, par sa simple présence, va progressivement convertir les adultes que tout cela est faux. On voit ainsi le pauvre bucheron la protéger et admettre que les « sans cœur » ont un cœur. L’histoire est ponctuée de sursauts d’humanité, de prises de conscience.

En reprenant tous les codes du conte, Jean-Claude Grumberg fait un pas de côté pour rentrer dans l’Histoire par un récit bouleversant.


Jean-Claude Grumberg, La Plus précieuse des marchandises, Points, 6,55€

Afficher plus

Julien Leclerc

Insatiable curieux avec un blog littéraire Le Tourneur de pages (c'est le premier lien ci-dessous)

Articles similaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Bouton retour en haut de la page