Cormac McCarthy, grand auteur américain, est mort il y a quelques mois. Cet été est l’occasion (en tout cas pour moi) de le découvrir avec son premier roman, une histoire de vengeance, d’homme et de solitude.
Tout commence par une rencontre. Celle entre Marion Sylder et Kenneth Rattner. Le premier dépanne le second en le conduisant dans la prochaine ville. Le second tente de voler le premier. Ils se battent. Marion tue Kenneth et cache le corps dans un étang qui se trouve sur la propriété du vieil Arthur. Celui-ci ne dit rien. Tout semble redevenu silencieux jusqu’au jour où Marion rencontre John Wesley Rattner. Il ignore qu’il s’agit du fils de sa victime. Celui-ci ignore qu’il commence à se lier d’amitié avec l’assassin de son père.
Vous avez chopé une sangsue, dit-il.
J’ai chopé quoi ?
Une sangsue, dit-il. Vous en avez une sur la jambe.
Elle baissa les yeux; il ne lui fallut pas longtemps pour la voir, une grosse bête brune juste en-dessous de son genou avec un mince filet de sang qui prenait une teinte rose sur son mollet mouillé. Elle avait mis la main devant sa bouche et restait là sans bouger, les yeux rivés sur la sangsue. C’était une bête d’assez bonne taille pour la rivière, mais il y en avait de beaucoup plus grosses dans l’étang. Elle continuait de la regarder sans rien faire, et au bout d’un moment il dit :
Vous allez pas l’enlever de là ?
A ces mots, elle sortir de sa torpeur. Elle leva les yeux sur lui et son visage s’empourpra.
Cormac McCarthy, auteur de La Route, De si grands chevaux, Non, ce pays n’est pas pour le vieil homme, est un auteur que je n’avais pas encore lu. Sa disparition mit en avant l’étendue de son talent et la diversité de ses univers. Pour le rencontrer, j’ai décidé de commencer par son premier roman. Cette histoire réunit un coin reculé des Etats-Unis, trois personnages qui ne sont jamais réunis mais s’observent tout du long. Dans un décor où la nature s’exprimer autant que les êtres, où le vide ajoute à la solitude des destins, ces trois hommes tentent de mener une vie tranquille dans ce pays entre deux guerres mondiales. Ils sont seuls, en marge de la société et semblent se réfugier dans leur trafic ou leur profonde intériorité.
Ces trois hommes sont fascinants tant ils ont vécu de choses et accumulé les mystères. En tant que lecteur, on les observe évoluer dans un milieu qu’ils connaissent. Chaque interaction est une menace. C’est violent et abrupte. Des scènes sont d’une puissance incroyable. Une fois passées, on a l’impression que le calme est revenu mais le danger sommeille. Chacun porte une trace de mort. Personne n’est vraiment innocent.
Ponctuellement, en italique, des paragraphes semblent nous apporter un éclairage sur leur passé en faisant leurs voix intérieures, leurs pensées. On se sent alors proches d’eux. Progressivement, par des descriptions d’une précision chirurgicale, le mystère se lève et jusqu’à la dernière ligne, on est suspendu à leur étrangeté.
Cormac McCarthy, Le Gardien du verger, traduit par François Hirsch et Patricia Schaeffer, Points, 7,10€