Une jeunesse sous l’Occupation, un témoignage saisissant
Alice Mendelson, à l’aube de ses 98 ans, raconte son enfance et sa jeunesse dans la France de l’Occupation, la déportation de son père, la vie traquée et la reconstruction. Un témoignage sobre et éclairant.
Alice grandit dans le 18ème arrondissement de Paris. Dans le salon de coiffure de ses parents ou le soir à la maison, elle les écoute refaire le monde avec leurs amis. Ils sont communistes, cultivés, mélomanes.
Lorsque la guerre éclate, alors que la famille s’accroche à son quotidien, leur voisin coiffeur et concurrent les dénonce au commissariat général aux Questions juives. Le père d’Alice est déporté. Le salon de coiffure leur est confisqué. Alice et sa mère échappent de peu à la rafle du Vel d’Hiv, aidées par des voisines. Commence alors un long chemin semé d’embûches et de périls, mais aussi d’espoirs : passée en zone sud, Alice s’engage dans la Résistance. Après la Libération, sa mère, durement éprouvée par deux années de vie traquée, doit se battre pour obtenir justice et réparation.
Dans le métro, avec mes parents, un dimanche, nous étions assis tous les trois, dans un carré. Je revois la scène.
La quatrième place est occupée par une femme qui converse avec d’autres personnes, sur les sièges contigus. Mes parents parlent yiddish. Impatience visible de nos « voisins ». Je le perçois, en souffre. Coup d’éclat de l’un d’eux, une femme : « Vous ne pouvez pas parler français, comme tout le monde ! »
Ma mère coléreuse et hardie riposte, en français (langue que je lui apprends depuis l’âge de 4 ans) : « Vous parlez combien de langues, vous, Madame ? Moi, j’en parle couramment cinq, russe, polonais, allemand, yiddish, français. Et j’ai dû traverser des frontières, recevoir des coups, vivre de peu sauf de livres et tous les travaux possibles ! »
Dans mon coin, de la honte, je passe à la fierté. Mais j’ai honte d’avoir eu honte…
Grasset poursuit à un rythme régulier la publication de témoignages, outils indispensables pour la transmission de l’histoire de la Shoah et de compréhension du climat dans la France des années 30-40. Alice Mendelson, avec l’aide précieuse du grand historien Laurent Joly (auteur du récent la Rafle du Vel d’Hiv), revient sur sa vie. Entre ses souvenirs, ses archives et celles apportées par l’historien, le récit de cette vie se déploie avec sa part de silence et de manque. Alice Mendelson raconte sa vie avec ses parents dans le 18ème arrondissement, leur salon de coiffure et la progressive place que prend le danger nazi et antisémite dans leur vie familiale. Du recensement aux premières spoliations, des dénonciations à la rafle du Vel d’Hiv, ce texte suit pas à pas la traque menée par les Nazis et Vichy contre les juifs.
Ce récit linéaire est d’une clarté édifiante, remplissant parfaitement sa mission de transmission didactique. Un des aspects les plus passionnants est de comprendre comment Alice Mendelson va connaître son histoire et celle de ses parents. Ainsi, pour l’appartement familial, la description des archives de 1946 complète ses souvenirs. Elle explique également comment sa mère lui a caché la responsabilité d’un voisin, lui aussi coiffeur, dans la dénonciation et la déportation de son père. Le combat mené par sa mère pour reconstruire leur vie à toutes les deux prend témoigne de l’état d’esprit de cette France d’après.
Alice Mendelson, Laurent Joly, Une jeunesse sous l’Occupation, Grasset, 15€