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« The main » de Trevanian : un flic à Montreal et à découvrir dans un polar sans accent

Montréal dans les années 70. The main, c’est l’artère principal de la ville, qui charrie son lot de personnages à la Zola , des prostituées, des passants, des escrocs minables et des truands, qui cohabitent avec les immigrants et les ouvriers. Parmi eux, une posture charismatique et datée qui vit ses dernières heures, comme un phare triste, le lieutenant Claude LaPointe.

Ouvrir et lire The main, c’est jouer avec ses propres repères. Pur roman policier, il ouvre sur un meurtre bouleversant la routine du vieux dur à cuire digne d’un Maigret. Le lieutenant LaPointe a choisi ce quartier dont personne ne veut et qui ne lui est d’ailleurs même pas officiellement attribué, à qui une hiérarchie laisse la charge tacitement en attendant sa retraite : les résultats sont là, malgré des méthodes qui n’étaient déjà plus orthodoxes quand le roman est sorti en 1976.

Flanqué d’une jeune recrue en guise de bonne conscience, le vieux briscard mène une enquête qui adopte les codes du polar anglo-saxon pour arriver à nous y perdre malgré tout. Montréal, ce n’est pas New York ou une autre métropole si connue, cette artère ce n’est pas un quartier comme tous les autres.

« Il est bientôt 8 heures et les piétons se pressent à nouveau sur les trottoirs. A l’entrée d’une ruelle étroite, un rémouleur fait tourner sa meule avec une grande attention. La pierre circulaire est fixée à sa bicyclette de telle manière que le pédalier peut entraîner ou la meule ou la bicyclette. Assis sur sa selle, la roue arrière sur un support rectangulaire, le rémouleur pédale, pédale et fait tourner sa pierre. Le crissement de la meule et le panache d’étincelles froides retiennent l’attention des passants qui jettent un regard au rémouleur et passent leur chemin. Le repasseur est grand, maigre, et ses cheveux gras, rejetés en arrière comme un casque rigide, lui donnent l’apparence d’un Tartare. Son nez est mince et busqué et ses yeux, sous les sourcils menaçants, fixent le couteau qu’il affûte et la gerbe d’étincelles qui en jaillit.

S’il pédale avec tant d’ardeur que sa face est couverte de sueur en dépit du froid. Son dos étroit et courbé sur sa tâche, ses genoux s’élevant et s’abaissant constamment, son attention fixée sur le couteau et les étincelles, il ne paraît pas avoir vu LaPointe s’approcher »

On pourrait ouvrir le roman à n’importe quelle page et tomber sur un portrait aussi poignant que celui de ce simple rémouleur. The main est une histoire donnant vie(s) à un quartier, ne capitalisant pas chaque rencontre pour en faire un interrogatoire ou pour aller chercher des indices. Que ce soit le jeune acolyte, les clochards et les autres, chaque personne a droit à poser sa propre humanité présente dans ces lignes. Il faut tous les rencontrer, laisser LaPointe faire les présentations pour que collectivement le quartier s’exprime par toutes ces petites mains.

La ville devient un personnage, c’est devenu une convention narrative, mais ici elle devient tous les personnages : aucun d’entre eux ne l’enchante, la misère y est omniprésente, chaque journée connaît ses drames et c’est ce qui fait la ville. Trevanian, un auteur devenu culte les regarde tous dans les yeux, un par un, acceptant de laisser l’enquête se nourrir de souvenirs d’une carrière devenue une vie.

The main est un roman faisant ses plus de 40 ans, qu’on n’écrirait plus aujourd’hui et qu’aucun studio de cinéma ne voudrait adapter. Parce qu’il est chargé de noms, de sordide, d’une exceptionnelle densité que seules les vieilles plumes ont réussi à mettre en scène. LaPointe lit et relit ses vieux Zola, n’écoute même pas la radio mais il tend des mains sans se demander pourquoi il cherche à faire le bien dans des rues où cette notion n’a plus tout son sens. Posé dans le polar, l’humanisme résonnant du début à la fin de ce chef d’œuvre méconnu apporte beaucoup et hante le lecteur avec une réelle bienveillance.

Editions Gallmeister, 378 pages, 10,50 euros.

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