Au CDN Orléans, le metteur en scène japonais Kurô Tanino saisit quelques jours dans l’intimité, joyeuse et profonde, dans une petite ville portuaire. Du théâtre aux accents cinématographiques.
C’est le chant des oiseaux, le long du rivage, qui accompagne le public dans la salle Jean-Louis Barrault du théâtre d’Orléans. L’arrivée sonore d’un bateau marque le début du spectacle. Le rideau se lève et dévoile deux petits appartements, l’un aménagé et l’autre vide. Celui-ci sera bientôt occupé. Le parallélisme entre les deux logements axe la narration, faisant défiler la vie d’une équipe de pêcheurs et celle d’une famille accompagnant une mamie souffrant de démence sénile. On découvre ainsi ces quelques êtres manger, dormir, rire, tenter d’échanger et continuer à vivre. Ils ne comprennent pas vraiment, s’écoutent plus ou moins, se reposant beaucoup sur des habitudes, des rituels rassurants. Il n’y a pas de déni mais une maladresse à être attentionné.
Le metteur en scène Kurô Tanino déploie avec minutie les deux histoires quotidiennes, puisant dans les moyens cinématographiques tout en maintenant une pudeur quant aux émotions des personnages. Qu’il s’agisse du groupe de pêcheurs ou de la famille, les personnages restent discrets sur leurs ressentis. Ils affrontent, supportent, dans le rire ou le silence. Le rythme de la pièce tient beaucoup à ces jeux de sons. Une chanson country, ouvrant l’imaginaire des grands espaces, revient comme une ritournelle pour passer d’un moment à l’autre. La voix du patron du bateau de pêche, en off sur écran noir, introduit et conclut le spectacle, rappelant la forme de cette création. Le miroir, le double, le cercle. La précision des gestes impressionne et témoigne de la puissante écoute entre les comédiens·nes. Un mouvement se met en route, jusqu’au bout, éclairant les personnages, leurs émotions, leurs regrets et leurs espoirs. Le spectacle repose sur les basculements du quotidien, ces rééquilibrages entre les êtres, cette justesse nécessaire pour être ensemble.
Rien ne semble avoir bougé pendant ces quelques jours. Pourtant, tout a été bousculé, au plus profond des êtres. Cette intimité, cette émotion infime, se dévoile par petites touches. Le jeu de lumières indique subtilement toutes les nuances des situations vécues. La gravité apparaît quand la maladie de la grand-mère envahit la bulle familiale, quand le trio de pêcheurs perd son équilibre. Mais rien n’étouffe les personnages et n’écrase le public. Le metteur en scène fait appel à l’imaginaire du public. Il y a tout un monde extérieur qui est évoqué, un chat qui ne vient jamais manger, une fiancée qui est trop loin. Alors l’esprit de chacun·e peut dessiner cette petite ville de pêcheurs, cette mer qui nourrit et fait rêver mais également ressentir le poids des vies vécues. Deux hommes d’une cinquantaine d’années sont au cœur de chaque histoire. Ils avancent vaille que vaille, fatigués. Ce sont des êtres qui avaient oublié qu’ils pouvaient être sensibles au monde. Ils sont atteints, fondent en larmes ou dans le mutisme. Mais la vie est un cycle, le quotidien retrouve ses couleurs et c’est par un repas partagé, préparé avec attention que le réconfort arrive.
Fortress of smiles (EGAO NO TORIDE)
Avec Susumu Ogata, Kazuya Inoue, Koichiro F.O. Pereira, Masato Nomura, Hatsune Sakai, Katsuya Tanabe, Kanako Nishida
Texte et mise en scène Kurô Tanino
Traduction française Miyako Slocombe
Régisseurs Masaya Natsume, Kodachi Kitagata
Scénographie Takuya Kamiike
Assistant scénographie Kanako Takechi
Créateur lumières Masayuki Abe
Créateur son Koji Shiina
Lumières Risa Noguchi
Tournée Shimizu Tsubasa, Chika Onozuka
Avec le soutien de Arts Council Tokyo, de la Japan Foundation et de l’Office National de Diffusion Artistique
En partenariat avec la Maison des Cultures du Japon