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La disparue du Cecil hotel sur Netflix : des images et des questions.

En Février 2013 la disparition mystérieuse d’une jeune canadienne de 22 ans, Elisa Lam, dans un hôtel de triste disparition de LA est devenue un dossier médiatique brûlant dans le monde entier. Les enquêteurs du web se sont emparés du dossier en déployant un rapport aux images qu’on avait oublié depuis les premiers âges du cinéma.

Elisa Lam a disparu. Aucune trace de cette jeune étudiante. Selon les premiers résultats de l’enquête, elle ne serait jamais sortie de l’hôtel… C’est étrange et poignant, et la série documentaire sortie sur Netflix raconte en 4 épisodes très denses bien plus que la disparition tragique d’une jeune bipolaire paumée dans une très grande ville. Comme beaucoup de faits divers, il y a ici une histoire très simple, qui a rencontré la grande, en croisant les lames du fond du web. La police de Los Angeles cherche des témoignages et de l’aide, et décide de publier une vidéo de caméra de surveillance, une procédure banale, sans imaginer ce qu’elle est sur le point de déclencher. Sur celle-ci, on voit Elisa Lam, un poil perdue, inquiète, entrant dans un ascenseur, sans arriver à le faire descendre. Après quelques instants, elle décide d’en ressortir. Ces 5 minutes, d‘une vidéo très banale, postée dans l’idée d’obtenir des renseignements et des témoignages sur une disparue qui voyageait seule sont devenues iconiques. Elles sont la marque d’un nouveau rapport aux images qui était celui des premiers spectateurs de l’Histoire.

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Les images qui ont tout déclenché

On rembobine. 1896, l’arrivée d’un train en gare de la Ciotat. Une autre vidéo banale, le premier film des frères Lumière. SPOILER : Un train entre dans la gare de la Ciotat à la fin. On rigole, mais les premiers regards portés sur ce film, eux, ont pris peur et ont reculé en voyant arrivé en grand angle ce gros machin, comme s’il allait passer à travers l’écran. Les enquêteurs du net eux, ont fait comme vous en regardant la vidéo : ils se sont penchés. Ils et elles ont fouillé, décortiqué et trouvé tout ce que 5 minutes pouvaient offrir. Le diable est dans les détails.

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Ok. Il peut PARFOIS arriver que des trains traversent l’écran

Conspiration, meurtre, suicide : en dehors de l’enlèvement par les aliens, tout est à peu près passé dans l’esprit des web sleuth (les enquêteurs du web) tous bien intentionnés, mais touchés par la mort aussi tragique que mystérieuse d’une victime malade, partant seule à LA pour prendre confiance en elle en gérant au mieux sa maladie. Ces internautes ont fouillé son journal écrit sur Tumblr, cherché dans toutes les pages imaginables pour aider, soumettre des hypothèses, parfois aller tourner des vidéos sur place, dans l’hôtel, jusque dans sa chambre.

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Des couloirs un poil inquiétants le soir. Je reste regarder la télé

Le Cecil hôtel n’est pas le mieux loti de Los Angeles au moment des faits. Vieux, insalubre, il est au cœur de nombreux faits divers marquant l’histoire criminelle de la cité des anges. Des tueurs en série y ont dormi, la police y était appelée tous les jours. A ses pieds, Skid Row, un quartier délabré, un peu plus que lui encore, où résident tant bien que mal des sans-abris. Une énigme, en plein cœur d’une des géographies urbaines que le monde entier connaît le mieux, en version lissée, via les séries, les films, les jeux vidéos, mais une de plus, une de moins… C’est dans ce climat que l’enquête avance cahin-caha. Les inspecteurs du web parasitent le travail sur place de la police, qui finir elle par découvrir progressivement des éléments conduisant à la découverte du corps, 3 semaines après sa disparition dans un réservoir d’eau, sur le toit de l’hôtel.

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On peut y aller sans Cécile

La nouvelle est tragique, mais les images elles, ne meurent jamais. Les enquêtes continuent, en parallèle. Un chanteur de black metal ayant passé trois nuits dans l’hôtel est accusé et harcelé sur le net, l’hôtel accueille un défilé malsain de suiveurs de l’affaire, cherchant à passer une nuit au plus près. On pense même que la réponse est dans le film d’Hideo Nakata, Dark Water, qui reprend points par points certains éléments de l’affaire. Certains tentent même de grimper sur le toit. Tous creusent des zones d’ombre, ouvrent des portes, sans en refermer. L’enquête officielle arrive elle à une conclusion lapidaire, décevante pour tous ceux qui se sont pris d’une empathie réelle pour Elisa Lam : il s’agit d’une mort accidentelle par noyade, provoquée par une sous-médicamentation. la victime ne prenait plus ses médicaments. Son comportement sur la vidéo est donc celui d’une jeune femme perdue, en plein délire. Sa mort en est d’autant plus triste.C’est une histoire redevenue simple, qui aurait pu se mêler à toutes les autres qu’on ne racontera jamais sur Netflix.

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Au pays noir (Ferdinand Zecca, 1905)

Au-delà des conclusions bien réglées de cette excellente série documentaire, rappelant à l’ordre avec bienveillance les conspirationnistes, il reste la démarche fascinante de ces internautes qui ont voulu aider. Ils se sont penchés littéralement sur un dossier, décortiquant une vidéo qui n’était pas destinée, ni tournée pour cela. 9 ans après le train de la Ciotat, Ferdinand Zecca, cinéaste, tourne au pays noir, un film naturaliste décrivant les conditions de travail des mineurs. Un Germinal avant l’heure. Ici les plans ne sont pas construit encore comme on le fera dans des films et séries Netflix. Ce sont des scènes de théâtre, de 2 à 3 minutes chacune, enchaînées les unes à la suite des autres. Elles sont toutes chargées de personnages, de détails : le gros plan n’existe pas, pas plus que le plan taille et tous les autres plans resserrés qui construisent les stars de cinéma. Un plan ça coûte très cher, et on le rentabilise en faisant une prise de vue avec le maximum d’effets et de figurants possibles. Pour considérer l’avoir vu, il faut le revoir, une fois, deux fois, donc aller plonger dans l’image, avant qu’elle ne plonge chez vous. Cela à l’air philosophique, ça l’est : je l’ai empruntée à Nietzsche, un copain. Lui il disait “Si tu plonges longtemps ton regard dans l’abîme, l’abîme te regarde aussi.” Il parlait des monstres, de tout ce qui est terrifiant, mais cela fonctionne aussi avec ce qu’on fait des images, de 1905 à 2013 : elles ont circulé, et c’est ce qui ont fait leur valeur : on ne les a pas laissé entrer sans les questionner.

La bande annonce :

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