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On a rencontré Jean-Louis Milesi, scénariste du superbe « Josep », actuellement aux Carmes

Scénariste de Robert Guédiguian (Marius et Jeanette, Marie-Jo et ses deux amours, les neiges du Kilimandjaro), Jean-Louis Milesi est venu au Cinéma des Carmes Lundi dernier pour présenter le premier long métrage d’animation d’Aurel, Josep. Une œuvre au sujet complexe et méconnu, puissante et baignée d’humanité. On vous raconte !

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Photo Allociné

Le sourire de Jean-Louis Milesi tranche avec le sujet investit par le film. Josep, c’est l’histoire du dessinateur espagnol Josep Bartoli qui dû fuir son pays en Février 1939, accompagné d’un demi-million de ses compatriotes, suite à l’instauration de la dictature de Franco. Comme bon nombre de réfugiés, Josep Bartoli se retrouve enfermé dans un des nombreux camps et subit les mauvais traitements de la part des autorités françaises. L’artiste entrevoit la lumière par l’amitié qu’il noue avec un gendarme, Serge, et en se fixant l’objectif de retrouver la femme qu’il a laissée en Espagne.

Josep est ainsi le premier film d’animation d’Aurel, dessinateur de presse (Le Monde, Le Canard Enchainé…), également auteur de bandes-dessinées (Fanette, Rase Campagne) et de reportages dessinés (Clandestino). Jean-Louis Milesi nous raconte la genèse d’un projet de longue date : « Il y a peu près dix ans, Aurel tombe sur un dessin de Josep Bartoli. Il tente d’écrire dessus, ne sait pas vers quelle forme cinématographique se diriger. Serge Lalou, le producteur du film, lui propose d’échanger avec le scénariste de Guédiguian, à savoir moi. Il finit par me donner carte blanche pour le scénario. Aurel n’a qu’une seule vraie prérogative, parler de filiation ».

À l’aide d’une mise en abîme habile dans laquelle Serge, le gendarme devenu vieil homme alité à la mémoire vacillante, raconte son histoire à son petit-fils Valentin, Jean-Louis Milesi et Aurel convoquent tour à tour l’Histoire, la filiation et le devoir de mémoire. Période de l’Histoire (de France, d’Europe) méconnue pour ne pas dire occultée, le film met la lumière sur des heures sombres de l’administration française du président Daladier qui considérait les réfugiés espagnols comme une menace pour l’Etat. Dès les premières minutes, le spectateur est déstabilisé. Le sujet est dur ; on y voit la guerre, la faim, les corps mutilés, on y ressent la misère et le froid. Les premières images montrent une technique de dessin peu courante, ressemblant à un film en stop-motion, se rapprochant également de la bande-dessinée. C’est une des grandes forces du film, le spectateur a le temps de réfléchir à l’image et au symbolisme de celui-ci. L’œil est attiré par ses images qui défilent lentement lorsque les souvenirs du vieil homme sont à l’écran. Ce parti-pris de réalisation est à mettre au crédit d’Aurel, se servant du souvenir du vieil homme dans les flash-back pour utiliser une technique qui n’est pas de l’animation pure.

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Le froid des premières minutes (Photo: les Films d’ici Méditerranée)

Jean-Louis Milesi nous aiguille à ce propos : «Avant le film, Aurel disait qu’il ne connaissait rien en animation, néanmoins, il savait dessiner. De ce fait, il a imposé cette contrainte technique. Egalement, En écrivant pour ce film d’animation, je pensais que je pourrais faire plus de chose. En réalité, un film d’animation et un film en prise de vue réelle coûtent à peu près la même chose ! On a dû réduire certaines scènes que j’avais imaginées. ». Aurel joue donc des barrières budgétaires avec grâce.

La banalité du mal

Malgré sa forme relativement courte (1h15), Josep est un véritable grand huit d’émotions. Des exactions d’abominables gendarmes, bourreaux aux figures porcines, jusqu’aux élans humanistes et héroïques d’un gendarme différent des autres mais banal  (comme l’évoque Serge, le grand-père devenu un fardeau pour sa famille, se plaignant de ne pas être un héros), le film sonde les tréfonds de l’âme humaine, dans ce qu’elle a de plus abjecte mais aussi de plus lumineux. Impossible de rester de marbre devant tant d’injustice et tant de cruauté. La barrière de l’animation est l’occasion de montrer l’indicible : des scènes d’humiliation quotidienne perpétrées par les gardes du camp, participant notamment à déshumaniser les prisonniers. Une violence routinière, physique et morale, comme l’aurait décrite Hannah Arendt.

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Josep et ses deux bourreaux (Photo « Les Films d’Ici Méditerranée »)

Aurel et Jean-Louis Milesi n’ont rien voulu cacher et proposent un film dense et étayé : « J’ai commencé par trois mois de recherches. J’ai lu beaucoup sur la Guerre d’Espagne, sur le Franquisme et sur l’Immigration, regardé de nombreuses photos. J’ai lu également des témoignages des camps. Grâce à une amie, j’ai pu consulter des documents au Musée national de l’histoire de l’immigration de Paris. Par la suite, j’ai rencontré des fils de réfugiés qui m’expliquaient ne pas avoir pu parler de ce qu’ils avaient vécu avant la mort de Franco.»

Jean-Louis Milesi évoque également le fait que « Josep Bartoli a dessiné beaucoup de choses qui se sont passées dans les camps. Tout ne s’est pas passé dans les camps français, certains exemples sont tirés d’autres camps, notamment au Maroc. Ce qu’il faut également dire, c’est qu’il y a eu des horreurs commises des deux côtés. »

La part belle à l’héroisme ordinaire

De ce camp grisâtre de réfugiés affamés, Aurel fait jaillir la lumière par quelques scènes d’une poésie trop rare dans le Cinéma, comme en se servant des vrais dessins de Josep Bartoli dans lesquels il intègre Helios, ami espagnol du dessinateur et compagnon d’infortune.

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Hélios, camarade d’infortune, au milieu d’un dessin original de Josep Bartoli (Photo: Les Films d’Ici Méditerranée)

« Je me suis beaucoup inspiré des dessins de Josep Bartoli pour construire mon scénario, on avait dans l’idée de les intégrer au scénario et dans l’animation » confiait Jean-Louis Milesi.

Ces scènes contrastent énormément avec l’ambiance pesante du film et c’est là toute sa force. Si Josep bouscule viscéralement, c’est également grâce à l’héroïsme de Serge, véritable main tendue vers autrui. C’est aussi par l’évocation de l’amour que porte Josep pour une de ses compatriotes restée au pays, symbole d’espoir et d’avenir, tout comme l’apparition nimbée de Frida Kahlo dans une scène de rêverie d’une douceur infinie (avec qui il nouera une histoire d’amour au Mexique, des années après les camps français).

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Josep Bartoli et Frida Kahlo, l’art dans l’art (Photo: Les Films d’Ici Méditerranée)

Exit les longues tirades pour Jean-Louis Milesi : « Aurel m’avait dit que ce qui le frustrait le plus avec la Bande dessinée, c’était l’absence de musique. Il avait à cœur de l’utiliser dans certaines séquences, alors j’ai évité les longs monologues de la part de certains personnages ». L’occasion pour Aurel d’intégrer de formidables séquences musicales, rythmées et colorées, un jaillissement de couleurs dans cette grisaille permanente.

Qui était ce Serge, ce personnage héroïque qui n’est devenu rien d’autre qu’un vieil homme ? « De l’histoire de Josep Bartoli, on ne sait qu’une chose, c’est qu’il a été aidé par un gendarme français. Il a réussi à s’évader de plusieurs camps mais le reste est fictif. »

Le personnage de Serge, figure empathique et symbole de l’importance du devoir de mémoire, pourrait bien connaître la consécration de l’autre côté des Pyrénées : « L’Espagne va découvrir le film d’ici peu, un producteur l’a découvert à Annecy et il a vraiment été touché. Il sera à l’affiche là-bas le 4 Décembre et est sélectionné pour le Festival de Valladolid ».

Loin d’être une expérience pesante, Josep amène une volonté de changer le monde, questionne notre rapport à l’art et est une supplication à ne pas oublier l’Histoire. Il n’en demeure pas moins l’écho du présent, comme le décrit Jean-Louis Milesi : « La question des réfugiés est une question toujours d’actualité, on pense à plusieurs endroits en France, comme à la jungle de Calais… ça n’a pas beaucoup changé d’hier »

Séances: Jeudi 8/10 21h10 ; Vendredi 9/10 13h40 17h25 ; Samedi 10/10 15h50 21h30 ; Dimanche 11/10 12h05 21h30 ; Lundi 12/10 15h30 21h10 ; Mardi 13/10 15h55 19h15

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