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La séance surprise de novembre aux Carmes : Trois amies d’Emmanuel Mouret

Mardi dernier, on est allé à l’avant-première surprise du cinéma des Carmes : un film à l’aveugle à 19 heures, une fois par mois, pour ceux qui aiment lâcher prise et s’abandonner au choix des programmateurs et de l’AFCAE. Qu’on se rassure, on a gardé les yeux bien ouverts pour savourer Trois amies d’Emmanuel Mouret et on vous explique pourquoi c’était génial, voire nécessaire.

L’exercice n’est pas simple : accorder deux heures de son temps à un film que nous n’avons pas choisi, dont le thème nous est inconnu. Dans nos quotidiens d’hyperconnectés, il s’avère presque funambule. Fermer les yeux sur le choix du film et s’en remettre au hasard. Réévaluer ses attentes pour repenser sa vision du cinéma, s’ouvrir à un pan de celui-ci qu’on occulterait volontiers en temps normal et se laisser surprendre en sortant des sentiers battus de notre cinéphilie, tel est l’enjeu d’une telle séance.

Déjouer ses préjugés

C’était non sans attentes que l’on pénétrait dans la salle à 19h30 pour découvrir Trois amies. On reconnait vite Camille Cottin et India Hair. Une voix intérieure nous dit qu’on ne sera pas du tout client de tout cela. Un film narrant des triangles amoureux chez des trentenaires/quadras et les pérégrinations sentimentales de trois amies faisant vaciller leur relation, avec une fin tracée dans laquelle chacune comprendra que « l’amitié, c’est la base de tout et on est plus forte ensemble » ? Ce qu’on imagine est évidemment cliché, signe que les « films d’amies » ont du mal à dépasser les carcans habituels assujettissant les personnages féminins à une simple passivité et à des réactions au gré de la gent masculine.
Seulement, ce serait sans connaître Emmanuel Mouret (Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait) et son profond amour pour les cheminements intérieurs, pour les personnages forts de femmes, pour les conversations à cœur ouvert et pour sa justesse des sentiments.

La séance surprise de novembre aux Carmes : Trois amies d'Emmanuel Mouret 2


À l’opposé des attentes

Trois amies évoque les remises en question personnelles et les interrogations de trois femmes au carrefour de leur vie. Tandis que Joan culpabilise de ne plus aimer son mari, Alice constate ne jamais avoir aimé le sien, qui la trompe avec Rebecca. Trois amies narre davantage les relations personnelles de trois amies que la relation entre elles. L’intérêt réside surtout lorsque Camille Cottin (Alice), India Hair (Joan) et Sara Forestier (Rebecca) ne partagent plus le cadre ensemble. Très rapidement, on comprend que l’amitié de ses trois femmes ne sera jamais réellement questionnée, ni remise en cause. L’essentiel est ailleurs.

Mouret crée ainsi des personnages forts, tant ses trois héroïnes que ses personnages masculins secondaires. L’un des points forts du film tient dans la justesse des rapports humains. Le réalisateur peint des personnages crus, vrais, presque nus. De cela ressort une vérité flagrante, touchante et presque dérangeante (ils nous ressemblent sacrément, ces personnages…), comme dans chaque scène entre Joan et son mari (Vincent Macaigne). On pense un peu à Maurice Pialat mais surtout à Claude Sautet (Les Choses de la vie et la beauté du « banal »). On y perçoit des vérités universelles, comme la culpabilité d’une femme face à la détresse d’un mari dont le monde s’écroule, dramatique et terriblement banal. Une femme n’aime plus son mari et tous les mots du monde n’y changeront rien, pas même un pathétique ultimatum final. On revoit Le mépris de Godard dans les scènes d’intérieur et les échanges entre les deux personnages. Les reflets dans les miroirs (ou leur absence) nous traduisent leur relation, mise en lumière par la mise en scène.

La séance surprise de novembre aux Carmes : Trois amies d'Emmanuel Mouret 3


Si les situations décrites restent très archétypales, leur traitement est bien différent. Les trois amies apprennent ensemble à écouter leur voix intérieure afin d’être en accord avec leurs besoins, leurs aspirations. Un appel à s’écouter et à faire des choix ; la grande force du film d’Emmanuel Mouret est que ces trois amies sont toujours les actrices de leur vie et ne la subissent jamais, à l’instar de Rebecca, profondément amoureuse du mari d’Alice, ne s’interdisant rien et restant maitresse de sa vie, rompant avec les clichés de l’amante vivant d’un amour impossible.

La séance surprise de novembre aux Carmes : Trois amies d'Emmanuel Mouret 4


Hors du jugement

L’un des autres points forts du film est d’arriver à montrer des personnages œuvrant tous pour leur propre bien avant tout, peu importe les conséquences. Le monde d’Emmanuel Mouret n’est pas manichéen, il n’est pas question de trancher sur un bon ou un mauvais comportement : ses personnages font comme ils peuvent au gré de leur cœur. De ces choix de vie apparaissent indubitablement d’énormes remords, du stress et des cas de conscience. Le mensonge tapisse tous les échanges entre des personnages persuadés de faire du mieux qu’ils peuvent. À ces triangles amoureux viennent se greffer d’autres triangles amoureux, laissant presque un goût de trop dans ces histoires (Joan et ses amours) tentaculaires. « En même temps, c’est la vie. Tu crois que c’est le bon, et puis non. Cela se casse la gueule et tu dois recommencer » nous soufflait Bastien après la séance.

Joan, Alice et Rebecca nous émeuvent à tour de rôle et nous inspirent. Elles montrent un chemin à tracer dans ce film proposant un bel éventail des situations amoureuses. Comme nos héroïnes, on s’est laissé porter par une volonté d’être émerveillé, d’être pris dans un flot étourdissant de sentiments, et ça nous va bien.

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