Qui dit rentrée littéraire dit Amélie Nothomb ! La romancière belge croque ici un amour passionné et hors normes entre deux sœurs, un livre à la cruauté mesurée sur les relations familiales.
Il n’aura fallu qu’une seule rencontre entre Florent et Nora pour que naisse leur amour. Cet amour est et restera passionné, malgré le temps et la naissance de deux filles, Tristane et Laetitia. Ces deux enfants sont liés à jamais par un sentiment d’une intensité et d’une sincérité éclatantes.
A la maison, d’infinies séparations recommençaient. Le bain, c’était avec papa ou maman. Le biberon aussi.
Ensuite, se produisait l’instant redouté. On la couchait et surtout, on refermait la porte de sa chambre. C’était d’autant plus terrible que Tristane entendait papa et maman qui étaient tellement ensemble. Elle n’était ni jalouse, ni envieuse, ni même possessive, son désir ne se focalisait ni sur son père ni sur sa mère : elle aurait juste voulu participer à la fête.
Puisqu’elle aimait ses parents, elle essayait alors de tenir le rôle qu’ils avaient prévu pour elle. Cela ne réglait pas le problème : il semblait qu’ils n’aient pas de place à lui attribuer. Dans le casting de cet étrange tournage, on avait engagé une actrice de trop. Le film ne comportait que deux personnages, les deux jeunes premiers.
Le nouveau roman d’Amélie Nothomb baigne dans le sentiment amoureux, entre Florent et Nora, entre les deux sœurs. Le sujet donne un aspect de conte, d’histoire magique à l’ensemble. L’autrice aimant les nuances s’intéresse à l’autre face de l’amour : la haine, l’oubli, l’absence. Ainsi Florent et Nora s’aiment tellement qu’ils sont incapables de laisser de la place à l’autre, même quand il s’agit de leurs propres filles. Là arrive le regard sans concessions d’Amélie Nothomb, fait d’humour et de cruauté.
Elle observe précisément la vague d’amour qui déferle sur les personnages, les embellissant parfois, les détruisant souvent. On suit ainsi la vie de Tristane et Laetitia, ces deux filles étonnantes et remarquables, dont l’indépendance a forgé les caractères et les parcours. Elles ont appris à lire et écrire seules et rapidement. Chacune développe sa propre voie. On voit la beauté de leur relation tout comme sa noirceur. Tristane est hantée par un fantôme, n’arrive pas à ressentir l’amour déclamé par des prétendants éperdus.
Ce livre parle de la place laissée aux autres ou pas, de la possibilité de faire de l’autre le centre de sa propre gravité et de perdre pied. Là où les enfants sont conscients de cela, les adultes semblent se noyer dans leur aveuglement égoïste. Le roman, bien qu’il se situe dans la deuxième moitié du XXème siècle, conserve son atmosphère de conte permettant de regarder, avec acidité et pertinence, la réalité.
Amélie Nothomb, Le Livre des sœurs, Albin Michel, 18,90€