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Numéro deux, celui qui aurait voulu être Harry Potter

David Foenkinos raconte l’histoire d’un garçon qui n’est jamais devenu Harry Potter, d’un enfant devenu adulte et toujours hanté par les regrets. Cette pure fiction capte les instants d’échecs de chacun.

Martin Hill aurait pu devenir Harry Potter sur les grands écrans. Il a passé le casting pour être l’un des deux deniers. Mais c’est Daniel Radcliffe qui a été choisi. Alors Martin doit vivre en tant que numéro deux toute sa vie. Ce refus, ce rejet pendant l’enfance résonne pour cet être en construction, entre des parents séparés, entre deux pays et entre la vie vécue et celle rêvée.

Certaines histoires sont écrites avant même leur commencement. Jeanne appréciait l’un de ses collègues du service des sports. Ils avaient déjeuné quelques fois ensemble, dans cette fausse innocence qui masque la séduction en guet-apens. Et puis, il avait proposé : « Pourquoi on n’irait pas boire un verre un soir ? » Elle avait dit oui spontanément. Le plus étrange était qu’elle n’avait pas dit la vérité à son mari. Jeanne avait prétexté un bouclage tardif. Tout était déjà là, dans ce mensonge qui trahissait ce qu’elle ressentait. Après le verre, il y eut la proposition cette fois-ci d’un dîner ; ce fut un nouveau mensonge ; après un second dîner, il y eut un baiser ; et puis, on parla de se retrouver à l’hôtel. Jeanne fit mine d’être surprise, mais sa réaction n’était que la fragile façade de son exaltation. Elle éprouvait du désir pour cet homme, elle pensait à lui sans cesse, à son regard et à son corps. La sensualité revenait au premier plan de sa vie. Et lui aussi ressentait la même chose ; il n’avait jamais trompé sa femme auparavant. Sous ses airs assurés, il cachait l’intensité de son trouble. À la fois honteux et ébahis, ils se promirent que cette histoire ne durerait qu’un temps ; ils volaient un peu de folie au quotidien, et tentaient de le faire sans être écrasés par la culpabilité ; la vie était trop courte pour être irréprochable.

Il y a quelques semaines, je découvrais, en tant que lecteur, le premier volet de cette saga littéraire marquante. Le hasard des publications me fait commencer l’année avec le regard sensible et drôle de David Foenkinos autour de la mythologie autour du sorcier. L’auteur de La Délicatesse ou encore de Charlotte invente une pure fiction, un avertissement nous le précise dès le début. Martin Hill n’existe pas et tous les événements mentionnés sont entièrement imaginés. Dans son nouveau livre, David Foenkinos rend un bel hommage au pouvoir évocateur des mots. Avec sa maîtrise habituelle de l’histoire et sa manière de croquer les personnages, l’auteur compose un roman plaisant.

La fiction nous capte, nous donnant l’illusion de la réalité. Comme les personnages de ce roman se confrontent à Harry Potter, qu’ils soient enfants ou adultes, le lecteur plonge dans la vie de Martin et ses parents, de cette lourdeur qui l’étouffe et le serre. Ne pas avoir été choisi, aimé, regardé, retenu. On suit alors le parcours de cet enfant, adolescent puis adulte qui tente de sortir de ce statut de numéro deux et de vivre malgré Harry Potter, cette mise en lumière illimitée amplifie l’ombre dans laquelle évolue Martin. L’auteur parvient à tenir le fil de ce parcours tout en questionnant la place de numéro deux, celui ou celle qu’on aurait pu choisir, celui ou celle qui aurait pu être. Il égrène des exemples, des réflexions sur des destins mélancoliques et hasardeux.

Quand il fait des embardées au cours du récit de la vie de Martin, on retrouve les sujets phares du romancier : l’amour, la sensualité réconfortante, les musées, l’émotion artistique… Ainsi, nous découvrons le passé de nombreux personnages, ce qui les a mené dans la vie de Martin, centre de cette étoile romanesque. David Foenkinos prouve son talent pour capter les instants. En quelques lignes et paragraphes, il croque les attitudes, les pensées ou les espoirs. Le roman, en dézoomant régulièrement, explore les failles des personnages, les fragilités qu’on tente de cacher, de dissimuler, souvent par peur de ne pas être regardé et de devenir un numéro deux. Et revient alors régulièrement la force du personnage d’Harry Potter, ce jeune orphelin dont la cicatrice visible par tous et toutes est synonyme autant de douleur que de pouvoir. Le sorcier a réussi à être lui-même en affichant ses cicatrices.


Numéro deux, David Foenkinos, Gallimard, 19,50€.

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Julien Leclerc

Insatiable curieux avec un blog littéraire Le Tourneur de pages (c'est le premier lien ci-dessous)

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