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Plasmas de Céline Minard, l’esquisse du « monde d’après »

Après un western, une fiction environnementale et un braquage, Céline Minard explore un monde postapocalyptique. Un recueil qui redonne du sens à l’Humanité.

Cela commence par des acrobates dont les mouvements sont analysés par un peuple venu d’ailleurs. Cela se poursuit par du clonage, de la poésie martienne ou encore un lac mystérieux. Les différents tableaux dressent un monde futuriste où l’Homme est perdu, un personnage en quête de sens. Il n’est plus vraiment dominant. Il ne fait plus société. Ce livre, autant un recueil de nouvelles qu’une traversée dans un monde en recomposition futuriste, déstabilise et questionne. Céline Minard capte des moments d’une réalité loin de tout lecteur. L’écrivaine décrit une planète, la Terre, rarement nommée mais tellement présente, devenue un terrain de jeux pour d’autres populations.

Depuis son entrée dans la société des Eips, elle développait une science du corps primitif, dont le degré d’élaboration la surprenait jour après jour. À force d’attention aux autres, au moindre de leur geste, de leurs choix posturaux, de leurs manifestations vocales, par ricochet, par mimétisme, elle avait creusé dans ses muscles et dans ses gènes, terreau d’une mémoire très ancienne. Elle y avait trouvé un savoir qui était une pratique, elle y avait trouvé que tout savoir ne peut être qu’une pratique. Il y a cent façons de manger un céleri sauvage. Il n’y a en qu’une et les Eipes la lui avaient enseignée. Elle les suivait depuis si longtemps qu’elle commençait à comprendre leur idée du territoire. Ou plutôt, que le concept de territoire appliqué à leurs déplacements était une aberration. L’étendue ne les cernait pas, ne les concernait pas. Ils étaient régulièrement devant tel bosquet, telle fourmilière, tel rang de buisson, tel bras d’eau, au moment où il le fallait, quand le bosquet produisait ses fruits, quand ils avaient soif, besoin d’antiseptique, envie de sucre ou des nids douillets que fournissaient les arbres à certains endroits précis, mais chaque poste connu, pris dans le flux, était neuf, intégré dans l’instant, impliqué de nouveau dans le filet de leur pratique.

Tout au long de la lecture, on est entre des éléments de l’univers fantastique et le rappel des caractéristiques humaines. Malgré cet univers inventé, toutes les descriptions interpellent car les personnages évoluent grâce à leur propre sens. Ils sentent, voient, touchent et entendent. Toutes les matières existent, traçant en filigrane l’importance du contact entre les êtres et le lieu. Il est difficile de lire Plasmas sans penser aux confinements, au virus, à la peur de l’imperceptible. Céline Minard replace l’humain dans sa situation la plus primaire car il a perdu le pouvoir et son monde s’est effondré. Au fur et à mesure de ce recueil, on voyage dans le temps, avançant dans les années et découvrant un humain revenu à ses premiers états, chemin inverse de Stanley Kubrick dans 2001, l’Odyssée de l’espace. Comme toujours chez cette autrice, les mots sont précis, faisant la part belle aux descriptions et aux ressentis, mêlant habilement la fiction et la pensée. Le dernier livre de Céline Minard est plein d’aspérités, de doutes et de chairs, donnant une intensité aux voix intérieures de ces personnages.


Publié par Rivages, 17 euros

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Julien Leclerc

Insatiable curieux avec un blog littéraire Le Tourneur de pages (c'est le premier lien ci-dessous)

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