Dans son nouveau roman, Nicolas Mathieu observe les retrouvailles entre deux êtres perdus, réconfortés par les réminiscences des souvenirs et rattrapés par une réalité abrupte.
Hélène a bientôt quarante ans. Son présent ne ressemble pas aux projections de son adolescence. Alors qu’elle tente de trouver un second souffle dans sa vie, elle recroise Christophe. Ils étaient au collège, ont grandi ensemble. Lui, malgré sa fatigue, la maladie de son père et son divorce, pense que tout est encore possible. Hélène et Christophe se rapprochent l’un de l’autre, mêlant mélancolie et espoir.
Hélène était sortie de ce premier rendez-vous complètement sonnée, même si le rendez-vous en question n’était sans doute pas la cause principale de sa confusion. En tout cas, au lieu de prendre la direction de Nancy pour rentrer direct chez elle, elle s’était laissée prendre par de vieux réflexes et avait fini sur la route de Remiremont sans même s’en rendre compte, celle qu’elle empruntait gamine pour aller voir ses grands-parents. Quelques secondes de distraction avaient suffi pour imposer ce chemin de mémoire. Le passé reprenait vite le dessus si on laissait faire.
Dès qu’elle avait constaté son erreur, elle avait aussitôt fait demi-tour, mais s’était alors perdus quelque part entre Dinozé et Archettes. Dans ces coins-là, la départementale n’offrait pourtant aucune surprise. Elle avait fini par s’arrêter sur le bas-côté pour renseigner son GPS, mais le truc ramait dans le vide et, à bout de patience, elle était finalement sortie pour fumer une cigarette dans le noir, adossée à sa voiture. A un moment, un automobiliste avait ralenti en se demandant ce que cette bonne femme foutait là, en jupe et talons, fumant à minuit au milieu de nulle part. Une pute peut-être bien. Hélène avait écrit à Lison : Une catastrophe, je te raconterai.
Il est souvent dit qu’un bon raconteur d’histoires doit être un bon géographe. Nicolas Mathieu est un grand raconteur d’histoires. Il fixe ses personnages sur leur territoire, leur faisant portés alors une partie de l’histoire des lieux et des paysages. En suivant Hélène et Christophe, on traverse la région Grand-Est, on voit ses décors qui ont poussé Hélène à fuir et qui ont rassuré, par l’habitude, le quotidien de Christophe. Leur histoire se situe dans ce pays qui est remué par une élection présidentielle, celle de 2017. Les enjeux politiques sont loin d’eux car ils sont embourbés dans leur réalité, dans le rapport de force avec les autres. A 40 ans, Hélène et Christophe semblent à un point d’étape. Ils ont la possibilité de changer des choses, d’espérer sortir la tête de l’eau. Le roman dont la fin tient toutes ses promesses est animé par des urgences de vivre, de tenter et de se relever.
En alternant les anecdotes du passé, les espérances de l’adolescence et les difficultés, les conflits du présent, Nicolas Mathieu pointe toutes les situations d’incompréhension auxquelles les êtres doivent faire face. Elle et lui décident de retrouver le présent en tentant une histoire. Le rapprochement des corps, le contact avec la chaleur de l’autre seraient peut-être une solution. On navigue alors entre les prémices d’une relation amoureuse et la nostalgie du temps passé. La déception survient. La réalité parfois ravit mais souvent déçoit, bouscule l’enthousiasme qui a nourri l’imaginaire. Hélène et Christophe sont des personnages captivants par l’énergie qu’ils mettent à vivre, à tenter, à remettre leur quotidien sur l’établi.
Autour d’eux, évolue une galerie de personnages, d’autres générations, qui prouvent le grand talent de l’auteur à observer et saisir les caractéristiques psychologiques et sentimentales. Qu’il s’agisse du père de Christophe ou de la jeune collègue d’Hélène, Nicolas Mathieu soigne les portraits, apportant émotions, fantaisie et engagement dans son texte. Lire Connemara, c’est plonger au milieu d’une petite foule dont les passés, même décevants, sont plus réconfortants qu’une réalité privée de lendemains qui chantent.
Connemara, Nicolas Mathieu, Actes Sud, 22€.
